Le combat ordinaire
En ce qui concerne l'adaptation, le film rend assez bien l'esprit de la BD, sans se contenter de la résumer ou de la raconter à la hache (il y a toutefois quelques raccourcis qui auraient pu être évités); la BD prend son temps, le film aussi. Hormis quelques planches, le quatrième tome de la BD est presque complètement ignoré, ce qui est plutôt un bon choix selon moi, et qui redonne une structure classique en 3 parties; l'ablation du volet politique de l'oeuvre (ou son résumé caricatural à deux lignes de dialogues "le FN c'est le mâââl") n'est pas surprenant (ce qui ne veut pas dire qu'il est légitime) et permet de gagner de précieuses minutes au profit du rythme.
Le paradoxe, c'est qu'il est assez difficile de transposer la forme purement photographique dans un style cinématographique... Le réalisateur contourne intelligemment le problème avec quelques trucs de mise en scène (notamment recadrages, zooms, flous et mises au point pendant le déroulement du plan) et un choix de découpage et de montage assez particulier (pas de transitions du type "6 mois plus tard", etc.). Ce faisant, il tente de montrer comment fonctionne le cerveau d'un photographe, donc celui du personnage principal, ce qui permet de mieux s'immerger dans son esprit.
Sinon, je trouve que les dialogues sont un peu trop directement tirés de la BD, et paradoxalement, la diction si particulière de Nicolas Duvauchelle m'a un peu dérouté. Ce n'est ni une faute d'écriture, ni une erreur de casting, hein, c'est juste que j'ai été surpris de l'irruption de ces dialogues (souvent mot pour mot), et qu'une fois habitué à cette idée, il restait que les mots dissonaient complètement entre leur version "dans ma tête" et leur version live.
Sur le film lui-même... La bande-annonce me faisait craindre le pire (encore une BA qui distord complètement le film pour le faire entrer dans une case commerciale; j'ai d'ailleurs bien failli ne pas y aller du tout). Mais ce film est une réelle réussite: Les acteurs sont très bons (mais là, je partais convaincu, et je n'ai pas été déçu), les trouvailles de réalisation, ou plutôt les retournements de codes de celle-ci (on fait ce qu'on n'a habituellement pas le droit de faire au cinéma), rendent bien le déséquilibre permanent dans lequel vit le personnage, et les quelques "lourdeurs adaptatives" que j'ai signalé plus haut ne se voient aucunement si on n'a pas lu la BD.