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[Culture] Livres: Critiques & Commentaires
luigi:
Non je parle bien de la première édition du Pistolero. :04:
LarrxX:
Sinon, je viens de lire un truc qui me fait trembler de peur: je n'avais pas tilté au début mais, le scénariste qui s'occupera de l'adaptation n'est autre que Akiva Goldsman, le boucher de Hollywood. Le même qui a complètement défiguré "Je suis une légende".
J'ai peur.
luigi:
Le rêve était trop beau !!! :11:
ZAK:
Le boucher va encore frapper.
Maya l\'abeille:
Une nouvelle d'un écrivain espagnol sur le jeu de rôle... Je vous l'ai traduite, car je ne pense pas qu'il y ait beaucoup d'hispaniste sur le forum...
José Carlos Somoza, "Los dados", Fantasmas de papel, 2007, Barcelone, p. 27-36.
Les dés
-Docteur Palomares, mon fils fait du jeu de rôle.
-Ah.
Le docteur Palomares attendit que Salvador Beltran poursuive. Bien sûr qu'il allait poursuivre : il venait pour ça, pour parler. Avant de perdre la vue, le docteur Palomares avait été le médecin de la famille Beltran, ce qui signifiait en fait qu'il avait exercé sa profession à une époque où la médecine consistait principalement à donner de bons conseils. De sorte qu'il était certain que c'était ce que Salvador venait lui demander. Palomares était à la retraite, et il était aveugle à présent : et que peut faire d'autre un médecin retraité et aveugle, sinon donner de bons conseils ?
-Vous voyez de quoi je parle, poursuivit, effectivement, Beltran : ce type de jeux dans lequel chaque joueur créé un personnage et décide ce qu'il veut faire. Et pour savoir s'il y arrive, il jette des dés.
Le docteur Palomares fit un signe de tête qui pouvait vouloir dire qu'il connaissait.
Beltran poursuivit :
-Ce n'est pas que je trouve ce genre de jeux malsains, non. Ce qui me préoccupe c'est son obsession. C'est vrai que mon fils a de très bonnes notes et qu'il mérite de profiter de ses vacances comme il l'entend, mais, docteur, ces jeux de rôles l'ont emporté sur tout. Je vais vous donner un exemple. La semaine dernière, sa mère a fait de la soupe de poisson au déjeuner, son plat préféré. Nous avons commencé à manger, et nous avons entendu un autre bruit que celui des cuillères... Un petit bruit comme un bouton de chemise qui tombe par terre, ou une poignée de cailloux dans une poche. Je n'y ai pas vraiment prêté attention. Mais ensuite, j'ai constaté que mon fils avait cessé de manger.
-Je n'en veux plus, m'a-t-il dit.
C'était une sacré surprise pour sa mère et moi, parce que c'est un de ses plats préférés, comme je vous l'ai dit. Je lui ai demandé s'il ne se sentait pas bien, il m'a répondu que non. Mais le plus étrange était qu'il regardait cette soupe comme s'il aurait voulu continuer de manger. J'ai pensé qu'il était triste. Pour lui remonter le moral, je lui ai proposé d'aller au cinéma tous les trois cet après-midi, s'il navait rien d'autre de prévu. Il est resté pensif un moment, et tout à coup, j'ai de nouveau entendu ce petit bruit...
-Celui des cailloux, dit le docteur Palomares
-Oui, quelque chose qui faisait "tactactatc". J'ai vu mon fils pencher la tête, comme pour regarder quelque chose de caché sous la table, et la relever tout de suite. Peut-être croyait-il que je n'avais pas remarqué son manège, mais il se trompait.
-Je ne peux pas y aller, papa, dit-il avant de se corriger aussitôt : je n'ai pas envie d'y aller.
-Et que vas tu faire cet après-midi ?
-Je ne sais pas. Je vais peut-être sortir -de nouveau ce petit bruit, de coup d'oeil- Non, je ne vais pas sortir, je vais plutôt regarder la télé -le petit bruit, le coup d'oeil-. Non, en fait je ne vais pas regarder la télé, je vais rester dans ma chambre...
-Qu'est-ce que tu caches là -dessous ? lui ai-je demandé
Il y eu une vaine tentative de dissimulation. Finalement, il ouvrit la main et me montra ce qu'il cachait. Il y avait deux dés à six faces, tout ce qu'il y a de plus courant.
-Qu'est-ce que ça veut dire ? lui demandais-je. Mais je restais ahuri, puisqu'il se contenta pour toute réponse de se lever et sortir en courant, le visage fermé.
-Tu ne devrais pas lui parler ainsi, dit ma femme, c'est ses histoires de jeux de rôles, tu sais bien.
Apparemment, j'étais le seul à ne pas être au courant. Ma femme m'expliqua tout : lui et ses copains avaient inventé un nouveau jeu de rôle basé sur la vie quotidienne. Pour savoir ce qu'ils devaient faire ou ne pas faire, ils gardaient des dés en poche et les consultaient avant toute décision.
J'avoue qu'en entendant ça, j'ai perdu les pédales :
-Un jeu de rôle ? Mais la vie n'est pas un jeu ! J'ai crié. Tu as vu qu'il laisse son repas pour un résultat de dés ? Ce n'est pas à cause de ça, répondit-elle : il me passait le sel....
Vous riez docteur ?
-Non, non, je ne ris pas, je souris, Salvador.
Le docteur Palomares avait toujours clairement vu la différence entre rire et sourire, et ce d'autant plus depuis qu'il était devenu aveugle. Le sourire est un fantôme qui s'entend à peine, tandis que le rire sonne souvent. Comment pouvait-on les confondre alors qu'on avait la vue ?
-Excuse moi, Salvador, mais je sais ce qui t'arrive. Comment beaucoup d'autres pères d'enfant unique, tu tombes dans le piège de te faire beaucoup trop de soucis pour peu de choses. Ton fils a treize ans. A cet âge, les jeunes ont deux types d'obsession : le plus souvent ils se focalisent sur le premier type, mais s'ils se font éconduire -et Palomares souriait de nouveau, il optent pour le second. Et dans ce second type on trouve les jeux, les films, l'ordinateur, le sport, et cette infinité de petites ou grandes choses qui nous enthousiasment ou nous tentent. Remercie Dieu que ton fils ait choisi une paire de dés. D'autres choisissent des choses plus hasardeuses, ou plus dangereuses, je te l'assure. De plus, si tu ouvres les yeux, tu verras que pour presque tout le monde, la vie se résume à jeter des dés. Ne te fais pas de soucis : si ton fils veut jouer, qu'il joue. C'est de son âge.
-Vous ne m'avez pas laissé finir, docteur, répondit Salvador, lugubre, après un temps de pause. Hier matin, je me suis levé et je n'ai pas vu mon fils. Ma femme m'a dit qu'il était parti trainer tard avec ses amis. Il était parti à midi, et n'était toujours pas revenu. Quand la nuit est tombée, j'ai commencé à me faire du soucis. Mais après avoir appeler chez ses amis, qui ne l'avaient pas vu de toute la journée, j'ai été pris de panique. Je me souviens que ma femme terminait sa douche et qu'elle était encore dans la salle de bain. Je n'ai pas voulu ouvrir la porte, et je lui ai demandé à haute voix si elle ne croyait pas que nous devions appeler la police. Elle m'a répondu que non. Je lui ai demandé si elle ne pensait pas qu'il lui était arrivé quelque chose. Elle m'a dit que c'était possible. Je lui ai demandé ce que nous pouvions faire. Elle m'a répondu « rien ». Mais je me suis alors rendu compte qu'entre mes questions et ses réponses, il y avait une courte pause... et pendant cette pause, pendant ce silence effrayant, ce bruit, docteur, ce petit bruit de serpent à sonnettes, ce "tactactac" qui m'arrivait de derrière la porte fermée...
Salvador Beltran avait du mal à respirer. Le docteur Palomares aussi. Les deux écoutaient leur propre respiration.
-J'ai ouvert la porte et j'ai trouvé ma femme se séchant avec une serviette. Sa main droite était fermée. Ouvre cette main ! j'ai crié. Elle gardait la main coupable dans son dos. Montre moi cette maudite main ! ai-je hurlé. Je ne veux pas, murmura-t-elle. Et elle s'écria : je ne voulais pas le faire, je te le jure ! Faire quoi ? Je croyais devenir fou. Qu'est-il arrivé à mon fils ? Qu'as-tu- fais à mon fils ? Je me suis jeté sur elle, je lui ai pris cette main qu'elle cachait, nous avons lutté. Et ils sont tombés, docteur, sur les carreaux glacés, à nos pieds !
Il y eu un silence si long après ces cris, que le docteur Palomares cru que Salvador était parti.
-Tu es encore là , Salvador ? demanda-t-il au bout d'un moment
Personne ne répondit. Et, dans l'obscurité de sa vue, le docteur Palomares entendit quelque chose. Le son que pourraient produire des glaçons serrés dans la main d'un enfant...
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